Extrait 4
- Paul Caudan
- 12 déc. 2022
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 20 déc. 2022
Syn soupira. Il était légèrement déçu. Dire qu’il avait enfin failli se passer quelque chose…
Comme pour l’exaucer, quelqu’un déboula à toute vitesse dans son dos et le percuta de plein fouet.
Il tomba de tout son long en emportant son agresseur dans sa chute. Ça devenait une habitude. Ils manquèrent de se faire piétiner par la multitude de pieds, de sabots et de tentacules des visiteurs pressés. Debout, il s’apprêtait à secouer violemment son adversaire quand il reconnut la silhouette enrobée et bonhomme de son ami Onieta.
Le petit homme tout juste sorti de l’enfance, haletant, s’efforçait de reprendre son souffle. Son visage écarlate et son front luisant trahissaient les efforts qu’il avait dû fournir pour arriver jusqu’ici aussi vite. Syn sourit et remit son comparse sur ses pieds. Il soufflait comme une forge. Mais c’était son air absolument paniqué qui l’inquiétait le plus. Onieta déglutit :
— Le spectacle, Syn ! Bon sang, ne me dis pas que tu as oublié !
— Nom d’un Dravlak ! jura son ami en se frappant le front. Je me suis laissé…
— Pff, t’es pas sérieux…
Syn reprit définitivement ses esprits, et saisit le bras courtaud d’Onieta pour le traîner derrière lui.
— Allez, on a encore une chance d’y être avant que ça commence !
Une lueur espiègle passa dans ses yeux. Il se glissa dans l’interstice entre deux stands et commença à escalader.
— … en passant par au-dessus.
— Oh non, gémit le garçon, pas encore les toits !
Le chapiteau des Nomades tranchait avec les autres installations de la place. Entièrement constitué de grandes pièces de toiles de tissu tendues par des cordages, l’édifice était recouvert de fourrures et de peaux de bêtes habilement agencées. La bâtisse simple et rustique détonnait dans la masse de ses voisins métalliques, dressés tout autour comme des prédateurs, à l’affût du faux pas d’un paisible pachyderme.
Syn et Onieta se faufilèrent jusqu’à l’arrière du chapiteau. Là, ils soulevèrent l’un des lourds pans de tissu et se glissèrent à l’intérieur. Transis, ils effacèrent d’un revers de manche la pellicule de sueur et de neige fondue mêlées qui recouvrait leur visage.
Il faisait bon à l’intérieur. La chaleur diffuse des braseros disséminés à même le sol chassait le souvenir du froid mordant du dehors. Dans la pénombre ambiante, personne ne sembla remarquer leur intrusion. Le public, très important malgré la modestie des lieux, était tout absorbé par la scène dressée devant eux.
Un groupe de danseurs se balançait au lent rythme de percussions puissantes. Depuis le fond de l’estrade, le son grave et profond résonnait dans l’air, artificiellement amplifié par le psyon du batteur, qui frappait de toutes ses forces la peau tendue devant lui sur un tronc évidé.
Le groupe d’artistes se scinda en deux pour laisser place à une femme à demi-nue, vêtue d’un simple pagne. Son corps tout entier était peint d’un noir poisseux et opaque, à l’exception de ses yeux qui brillaient d’un blanc éclatant. Des rubans colorés s’enroulaient harmonieusement autour de ses membres, et s’agitaient au moindre de ses gestes. Elle s’immobilisa.
La musique s’arrêta. Dans un silence religieux, la danseuse leva lentement les mains. Le public retenait son souffle. Un halo bleuté apparut au bout des doigts de l’artiste. Avec grâce, elle décrivit de ses bras deux arcs de cercle parfaits, dessinant dans le vide des traînées géométrique d’une lumière intense. On aurait dit qu’elle calligraphiait des arabesques fugaces, en suspension dans l’air. L’une après l’autre, elles s’estompaient peu à peu en flottant lascivement vers la voûte embrumée.
La musique éclata brusquement à nouveau, et la danseuse accéléra ses mouvements experts dans un déluge de couleurs vives et de rubans virevoltants. Le public applaudit à tout rompre, subjugué par le talent de l’artiste, saluée par des exclamations et des sifflements enthousiastes.
Béat d’admiration, Onieta se tourna vers son ami Syn, qui lui rendit son sourire d’un air entendu: par les Dravlaks, qu’ils aimaient le cirque !
Soudain deux mains les tirèrent violemment de leur rêverie.
Comments